État d'urgence en France

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Présentation

État d’urgence en France : Mesure(s) d’exception, conférence donnée à l’Université de Caen Normandie, le 2 décembre 2015.

Intervenants

  • Sylvain Jacopin (MdC en droit privé, Université de Caen Normandie) ;
  • Jean-Manuel Larralde (professeur de droit public, Université de Caen Normandie) ;
  • Catherine-Amélie Chassin (MdC en droit public, Université de Caen Normandie).

Résumé

Suite aux attentats terroristes du 13 novembre dernier, la loi du 20 novembre 2015 a instauré l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire de la République française. La conférence apportera des précisions sur le dispositif prévu pour les trois mois à venir, en rappelant les techniques permettant de répondre aux situations de crise en droit français (J.-M. Larralde), et en évoquant les dérogations prévues tant en matière pénale (S. Jacopin), qu’en droit des étrangers et en droit de la nationalité (C.-A. Chassin).

Interventions

Jean-Manuel Larralde

L’état d’urgence est défini par la loi du 3 avril 1955[1]. Il a été proclamé en France, le 14 novembre 2015 à minuit. S’il est présenté comme une mesure de sûreté, l’état d’urgence est aussi politique : si Hollande avait dit On va appliquer l’existant, imaginez — légitimement — le tollé, explique Larralde.

Le juriste rappelle les 4 principes que ce dispositif de crise doit respecter :

  1. un principe de nécessité ;
  2. un principe de proportionnalité ;
  3. un principe de temporalité[2] ;
  4. le respect des droits indérogeables[3] :
    • ne pas subir de torture ou de traitements inhumains ;
    • ne pas subir l’esclavage ou le travail forcé ;
    • droit à la vie ;
    • liberté de conscience, liberté religieuse ;
    • non-rétroactivité pénale.

En outre, l’article 16 de la Constitution de 1958[4] fixe les conditions des pouvoirs exceptionnels du Président de la République[5]. Le recours à cet article est potentiellement dangereux pour les libertés publiques, faisant peser le risque de « dictature constitutionnelle »[6].

De plus, l’article 36 de la Constitution de 1958[7] définit l’état de siège. Ce dernier est prononcé par le Conseil des Ministres, et sa prorogation au-delà de 12 jours ne peut être autorisée que par le Parlement.

Enfin, la loi du 20 novembre 2015 proroge l’application de la loi relative à l’état d’urgence[8]. Elle fixe un contrôle parlementaire des actions faites sous l’état d’urgence.

Selon Larralde, nous faisons désormais face aux risques de :

  • constitutionnaliser les mesures d’exception ;
  • faire basculer les mesures de droit administratif dans le droit commun.

Le juriste souligne ainsi : Notre état d’urgence est un PATRIOT Act light ; PATRIOT Act qui est d’ailleurs toujours en vigueur.

Sylvain Jacopin

L’intervenant rappelle que l’état d’urgence est un état d’exception, et poursuit ensuite avec une citation d’Henri Leclerc à propos de la lutte contre le terrorisme : C’est le temps des suspects. En effet, admet Jacopin, on est passé de la suspicion d’infraction à la suspicion de menace.

Selon lui, le droit commun est assez armé contre le terrorisme. Pas besoin de nouvelles lois ni de droit d’exception — bouleversement qui a simplement permis de faciliter la perquisition et d’accélérer les procédures. Jacopin déplore néanmoins que le droit administratif[9] grignote de plus en plus sur le droit pénal[10].

L’intervenant rappelle enfin l’existence de deux outils de la lutte antiterroriste :

  • la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme[11] ;
  • la fiche S (pour Sûreté de l’État), catégorie du fichier des personnes recherchées (FPR) de la Police nationale française. Ce dernier est placé sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur et est désormais interconnecté au Système d’information Schengen (SIS), fichier informatique utilisé dans la coopération policière européenne[12].

Catherine-Amélie Chassin

Le 13 novembre 2015, la France a rétabli le contrôle à ses frontières, dans le contexte de la COP21 et des menaces terroristes[13]. Tel qu’il est précisé par le Gouvernement[14], cette disposition est intégrée au Code frontières Shengen[15].

Le 17 novembre 2015, une réforme visant à accélérer la procédure d’expulsion des étrangers représentant une menace grave à l’ordre public, a été engagée[16]. Cette réforme permettrait :

  1. l’expulsion en urgence absolue (sans dérogation possible) ;
  2. l’interdiction administrative du territoire. D’après Chassin[17], au moment de sa communication, 1000 personnes seraient ciblées — sans plus de détails sur les raisons de ce ciblage — et 4 personnes auraient été frappées, pour des activités terroristes antérieures à l’ordonnance.

Lors d’un discours au Congrès du Parlement, le 16 décembre 2015, le Président François Hollande a annoncé sa volonté de réviser la Constitution, notamment de déchoir de leur nationalité française les binationaux nés français[18]. Les conditions de la déchéance de nationalité sont fixées par l’article 25 du Code civil[19].

Chassin rappelle que la déchéance de nationalité est conditionnée :

  • aux atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation[20], ce qui ne fut pas le cas lors des attentats de novembre 2015 ;
  • à l’acquisition de la nationalité française depuis moins de 10 ans.

La volonté du Président Hollande est de pouvoir expulser l’ensemble des binationaux. Face aux critiques d’une citoyenneté de seconde zone pour les binationaux[21], des responsables de son parti ont évoqué l’idée d’étendre la déchéance à tous les Français[22]. Se pose alors le problème de l’apatridie[23]. Or, rappelle encore Chassin, la déchéance de nationalité menant à l’apatridie est déjà autorisée par le droit européen, en cas de fraude lors de l’acquisition de cette nationalité[24]. Elle est aussi autorisée par la Convention des Nations-unies du 30 août 1961, en cas de préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État[25].

Références

  1. « Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Version consolidée au 17 février 2016 », Légifrance, 2015-11-21 (dernière modification)
  2. Déclaré, ainsi que l’indique la loi de 1955, par le seul législateur — mais une ordonnance d’avril 1960 étend ce pouvoir déclaratif et habilite le gouvernement à le prononcer par décret en Conseil des ministres —, il ne peut être prorogé au-delà d’une durée de 12 jours que par une loi qui fixe sa durée définitive. in Jean Delmas, « État d’urgence », Encyclopædia Universalis
  3. Ce respect n’est pas garanti de fait. Cf. Anne Brigaudeau, « État d’urgence : comment la France s’autorise à déroger à la Convention européenne des droits de l’Homme, France TV info, 2015-11-27
  4. « Constitution du 4 octobre 1958. Article 16 », Légifrance, version en vigueur au 25 juillet 2008
  5. « Les pouvoirs exceptionnels du Président », Vie publique, 2014-01-02
  6. Par son usage du terme « dictature », inadéquat aujourd’hui, l’expression a pu être contestée. Cf. Mathieu Carpentier, « État d’exception et dictature », Tracés. Revue de Sciences humaines, 20, 2011
  7. « Constitution du 4 octobre 1958. Article 36 », Légifrance, version en vigueur au 5 octobre 1958
  8. « Loi nº 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi nº 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions », Légifrance, 2015-11-21 (dernière modification)
  9. Droit administratif : branche du droit réglementant les rapports entre les administrations publiques et les administrés. C’est la branche la plus importante du droit public mais aussi la plus déséquilibré, en opposant intérêts individuels et intérêts de l’État.
  10. Droit pénal : partie du droit réglementant les rapports entre les individus et la société en général. C’est une branche du droit entre droit privé et droit public.
  11. « Loi nº 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme », Légifrance, 2014-11-15 (dernière modification). Cf. aussi la version consolidée au 19 février 2016.
  12. Cf. Samuel Laurent, Terrorisme : qu’est-ce que la « fiche S » ?, Le Monde, 2015-10-06 (mise à jour)
  13. « Contrôle temporaire des frontières pour assurer la sécurité de la COP 21 », Gouvernement.fr, 2015-11-09
  14. Il ne s’agit en aucun cas de la suspension de Schengen mais bien d’une disposition prévue au règlement pour les grands évènements internationaux. Cf. référence précédente
  15. Code frontières Shengen, Eur-lex, 2006-03-15
  16. « Expulsion d’un étranger : décision », Service-public.fr, 2015-11-17. Au 2016-02-23, la réforme est toujours en cours de préparation.
  17. Ces affirmations seraient à vérifier.
  18. Cf. Rémi Noyon & Robin Prudent, « Attentats : François Hollande veut “faire évoluer” la Constitution », Rue89, 2015-11-16
    Cf. aussi Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, Assemblée-nationale.fr, 2015-11-23
  19. « De la déchéance de la nationalité française », Légifrance, 2016-02-13 (dernière modification)
  20. « Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation », Légifrance, 2016-02-01 (dernière modification)
  21. Cf. David Revault d’Allonnes, « Réforme constitutionnelle : Hollande maintient l’extension de la déchéance de nationalité », Le Monde, 2015-12-23
  22. Cf. Mathilde Belin, « Déchéance de nationalité : tous les Français pourraient être concernés », Metronews, 2016-01-05
  23. « Qu’est-ce que l’apatridie ? », Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
  24. « La déchéance de nationalité dans l’Union européenne », Toute l’Europe
  25. « Convention sur la réduction des cas d’apatridie », Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, 1975-12-13 (entrée en vigueur)