Spleen et flux urbains dans le cinéma de Hou Hsiao-hsien

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Présentation

Spleen et flux urbains dans le cinéma de Hou Hsiao-hsien, journée d’étude organisée par le LASLAR (Université de Caen), le 13 janvier 2011.

Intervenants

  • Morgad Le Naour (Université de Caen) ;
  • Simon Daniellou (Université de Rennes 2) ;
  • Antony Fiant (Université de Rennes 2) ;
  • Jean-Michel Durafour (Douai et Université de Marne-la-Vallée) ;
  • Benjamin Thomas (Université de Lille 3 et Paris 10) ;

Résumé

Il s’agira, au cours de cette journée d’études, d’analyser l’influence de la ville et de ses intensités sur les choix narratifs des films de Hou Hsiao-hsien, cinéaste taïwanais contemporain, ainsi que sur ses options de mise en scène, de cadrage, de lumière. Il s’agira de montrer également quel type de comportements des personnages suscite la pression urbaine et comment la difficulté de s’y adapter problématise par répercussion le lien à l’autre, aux histoires individuelles et collectives, au passé de Taïwan et plus largement celui des relations réelles et imaginaires qu’elle tisse depuis longtemps avec la Chine et le reste de l’Extrême-Orient. À travers cette étude et cet exemple, le but sera de mesurer l’importance de l’environnement urbain dans la création de formes cinématographiques qui comptent parmi les plus avancées d’aujourd’hui.

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Taipei et ses « allants-tours ».

Par Morgad Le Naour.

Chez Hou Hsiao-hsien, la question de la Chine est toujours opérante, à la fois origine et horizon. On la retrouve sous forme culturelle (nourriture, musique…), philosophique (taoïsme) et spatiale (le retour). Pourtant, depuis Goodbye South, Goodbye (1997), l’espace et le temps sont autrement questionnés : la ville est devenue un lieu et un enjeu centraux, la technologie a renforcé l’idée d’un « cinéma au présent ».

Le traitement du temps

Selon Le Naour, le passé chez Hou équivaut à la stabilité, le présent à la fuite. Ce présent, c’est celui de la ville, un flux perpétuel mais toujours fragmentaire. Le filmage des extérieurs est flou, volatile, empli de fadeur (Barthes). Celui des intérieurs tient dans l’étouffement du cadre et l’aveuglement des lumières. De la musique électronique (trip hop, électro…) est répétée, martelée. L’ellipse chez Hou se pose comme un mouvement du temps, révélant la torpeur et la circularité d’un récit qui n’avance pas.

Le traitement de l’espace

Comme les intérieurs/extérieurs, la ville et la campagne rentrent en concurrence l’une et l’autre mais doivent aboutir, taoïsme oblige, à l’équilibre. Les personnages s’y meuvent, mais à l’image du récit, en pleine torpeur et dans un geste de repli. Taipei compose désormais le point de nouement de cet espace-temps contemporain, la zone du repli.

Rumeurs de la ville, silences intérieurs : étude de la bande-son des films de HHH.

Par Simon Daniellou.

Si les nouveaux intérieurs sont visuellement étouffants, le traitement sonore favorise leur porosité selon Simon Daniellou. Le monde extérieur n’est jamais oublié chez Hou, et le son off traduit les rapports des personnages à leur environnement. Les premiers films du cinéaste sont postsynchronisés en partie ou en totalité. Paradoxalement, le traitement du son sera plus attentif dès les œuvres en prise directe, dès Cité des douleurs (1989.) Chez Hou, le son off peut être tantôt dangereux (incontrôlabilité, irruption dans le champs), tantôt protecteur (douceur des paroles, couverture des musiques…) Le filmage des trajets automobiles est ainsi signifiant : la viscosité de la lumière et le vrombissement sourd du moteur génère un cocon homogène, une soupape pour des personnages en quête de flux.

Si Paris m’était montré : articulation des espaces dans Le Voyage du ballon rouge.

Par Antony Fiant.

Sorti en 2008, Le Voyage du ballon rouge est le dernier film en date de Hou Hsiao-hsien, inspiré d’un moyen métrage d’Albert Lamorisse, Le Ballon rouge (1956.) Nouvelle œuvre « expatriée » après Café Lumière (2003), ce film de commande du Musée d’Orsay a été tourné à Paris. Dans ce contexte a priori plus contraignant (cadre narratif préexistant, ville étrangère, commande), Hou opère une audacieuse esthétique soustractive selon Anthony Fiant.

Ainsi, le récit en mode mineur passe principalement par la monstration. Il est à noter que le film de Lamorisse a été traité dans l’article Montage interdit d’André Bazin (1953-57), interdit qui est également le mot d’ordre de Hou dans ce film comme dans son œuvre en général.

Concernant les espaces, le musée d’Orsay est juste aperçu lors d’un plan, et la capitale n’est montrée que 30 minutes sur les 110 du film. C’est ici le filmage des intérieurs qui prime : ils sont traités de manière frontale, d’un point stratégique qui couvre tout (Jean-Marie Straub).

Apologue pour Millennium Mambo : la plus proche ville.

Par Jean-Michel Durafour.

La superposition des possibles

Ce concept du physicien Erwin Schrödinger est ici repris par Jean-Michel Durafour pour illustrer l’emboîtement des lieux dans le film. À l’image de l’anneau de Möbius, autre grande référence du communiquant, ce film « en pli » (ni dedans, ni dehors) se construit selon un principe de réclusion et de captivité. L’extérieur est ainsi systématiquement induit et le film gagne un statut claustrophile.

Sur le plan narratif, le récit travaille cette « absence » de dedans et de dehors. À l’origine de Millennium Mambo, il y a d’abord la volonté d’un documentaire sur Taipei et sa jeunesse : il en résulte en quelque sorte un film sans personnage et sans Taipei. En outre, le rôle principal de Vicky et la voix over de la narratrice sont tenus par l’actrice Shu Qi : néanmoins, l’instance narratrice utilise le pronom « elle » au sujet de Vicky, ce qui accroît la distanciation et pose le problème d’une indistinction spatiale, temporelle et subjective (« désanthropomorphisme »).

À l’image, les lumières et les reflets de la ville se ré-expriment dans les espaces privés : la ville devient évidance ; à la fois « évidence » (présence) et « évidement » (absence). C’est un principe du vitrail où le corps se fait écran de projection (Vicky est l’incarnation de la lumière), où cette lumière s’imprime sur le support, dans un équivalent au processus de filmer. La séquence des visages gravés dans la neige devient alors centrale (autant dans le récit que pour l’enjeu), car elle résume ce processus, dans une analogie aux corps imprimés sur la pellicule.

Le figural

Dans le même temps, est lié à la superposition des composantes du film le concept de figural, opérateur de dérèglement de la représentation. Se référant désormais à la poétique d’Aristote, Durafour constate que le récit (mythos) s’incline devant le spectacle (obsis), et que la force imageante s’impose sur la forme imagée. Par cet opérateur, la ville se re-territorialise dans ce qu’elle est sensée envelopper, à l’instar des notions précédentes (anneau de Möbius entre autres).

Ici, la théorie est étayée d’un côté par le film (il n’y a pas de point de centration, les personnages n’arrivent jamais à se fixer), et de l’autre par le fait que Taipei n’est pas une ville traditionnelle mais une mégapole ; il n’y a pas un centre (en latin, urbs) et une périphérie (zona), mais seulement une zona. Ainsi, Taipei passe de l’urbs à l’orbs (Monde).

Jean-Michel Durafour conclut que dans Millennium Mambo, la ville devient « filmante », par l’acquisition d’un nouveau statut (le figural et la mégapole), par le renversement de sa place (l’emboîtement).

Les Tôkyô de Hou Hsiao-hsien.

Par Benjamin Thomas.

Café Lumière (2003) est un hommage à Yasujirō Ozu (pour le centenaire de sa naissance), tourné à Tokyo.

Benjamin Thomas a montré la position-clé des trains dans ce film, d’abord parce qu’ils en sont le décor principal et l’objet de convoitise, aussi parce que Hou traite chacun des deux protagonistes dans son rapport aux trains : la vie du personnage féminin autant que le film n’ont pas de centre, et les corps semblent toujours sur le point d’être absorbés.

Ensuite, les trains ont de l’importance chez Ozu où ils sont, et plus encore chez Hou, cadrage de l’espace et sectorisation (Tokyo est une ville traversée par les voies ferrées.) Le premier plan du film montre d’ailleurs un train qui passe et qui, plus que proche du cinéma d’Ozu, serait une image qui viendrait d’Ozu. Il faut noter que le film tient dans cet ambiguïté, celle d’un cinéaste qui œuvre ici dans l’hommage tout en conservant ses thèmes et son style, celle enfin d’un Japon synonyme de « déterritorialisation » mais aussi de proximité, par le fantasme de sa tradition, sa technologie, son espace.

Enfin, comme chez le cinéaste japonais, Café Lumière se compose de plans d’une indéniable précision et fixité, mais dont n’est jamais exclue la liberté des sentiments. L’ensemble propose une expérience stimulante du mouvement caractérisée par l’enregistrement du son des trains et par l’essence même de Tokyo, espace étreint par les malaises de la modernité à l’image de Taipei ; un ensemble où le récit et les relations entre les personnages tiennent dans cette expérience du flux. Thomas précise au sujet du récit que Hou Hsia-hsien a tourné l’intégralité d’un scénario très complet, puis a ôté de nombreux éléments au montage afin d’accroître l’incompréhension et l’indétermination.

Plus qu’avec tout autre, domine dans Café Lumière un sentiment d’estrangement : celui de personnages perdus dans leur espace, leur temps et dans leur propre histoire ; celui d’un cinéaste avec un autre cinéaste et avec un autre territoire ; enfin, celui des spectateurs qui doivent chercher le récit autrement et autre part.